JC10 - NISHI-OGIKUBO 西荻窪

850,00 €

Une oeuvre d’Apollo Thomas

Gouche sur Celluloid

Giclée Print 310g

40x50cm

Vendue encadrée

Frais de port non inclus.

Son unique souvenir à Nishi-Ogikubo sentait le bouillon, les ramen et l’ananas.
Un soir, après un concert dans un bar en sous-sol, elle avait cherché à manger le plus vite possible en surface. Elle avait trop crié, trop bu. Il lui fallait quelque chose de doux, de chaud et de liquide, du gluten. Elle était entrée dans un étroit restaurant de ramen peint en jaune. Les deux rideaux de l’entrée étaient jaune, passé, et arboraient deux ananas kawaii en train de sourire un couteau planté dans la tête. C’est le détail qui l’avait poussée à entrer.
C’était vide. Il y avait deux cuisinières derrière le comptoir citron qui la regardèrent entrer et la fixèrent tandis qu’elle ôtait son gros manteau. Tout à coup il faisait l’équivalent de 100 degrés. Les deux cheffes se ressemblaient. Elle décida qu’elles étaient mère et fille.
Dans un japonais alcoolisé, elle tenta de commander un plat à la plus âgée des deux. Cette dernière abdiqua au bout de vingt secondes et somma sa fille de prendre le relais d’une tape sur le bras. La mère enleva son tablier et disparut dans l’arrière boutique sans un mot.
La fille et elle avaient à peu près le même âge. Elle s’appelait Shika et elle lui expliqua que la maison ne servait que des ramen à l’ananas, qui n’étaient pas du goût de toustes, mais que maintenant que sa mère était partie se coucher, elle pouvait bien lui préparer ce qui lui faisait envie.
Shika l’avait attendu calmement le temps qu’elle rassemble ses esprits et son vocabulaire. Elle avait commandé les fameuses « ramen hawaiiennes » comme elle les appelait dans sa tête et une omelette aux champignons. Shika faisait preuve d’une dextérité impressionnante en cuisine et étonnait ses yeux à elle embués par le gin. Ensuite Shika avait posé les deux plats côte à côte et lui avait parlé de sa vie, les yeux rivés sur son visage à elle, en face, qui avalait goulûment sans rien répondre. Et en oubliant tout au fur et à mesure.
Elle avait commandé encore une soupe à l’ananas, mais sans viande, maintenant qu’elle retrouvait un semblant d’appartenance à l’espèce humaine. Shika avait cuisiné, posé le plat sur le comptoir et ne s’était pas arrêté de parler pour autant. Sa voix la berçait et, peu à peu, elle s’était endormie sur le comptoir. Shika l’avait laissée dormir là au moins une heure.
Quand elle se réveilla, extrêmement gênée, Shika la regardait toujours derrière son comptoir. Est-ce qu’elle avait deviné toute sa vie, ses peines et ses joies, ses amours et ses rêves, pendant cette heure de sommeil profond et imprévu ? Elle ne s’était pourtant pas censée juger par cette déesse de la nuit et de l’ananas, l’avait remerciée très longuement et avait laissé un gros pourboire. En partant Shika agita la main gentiment et elle se sentit remise à la vie comme on est déposée à l’école le dernier jour de l’année.

Un texte de Clara Pacotte inspiré d’après l’oeuvre d’Apollo Thomas.

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